Entretien avec DANY
 
 

Schtroumf - Les Cahiers de la bande dessinée, no 49 (1981) :

Dany est un pseudonyme. Pourquoi ce choix, ne peut-on dévoiler votre véritable identité ?

Pour la bande dessinée, il me paraissait évident de prendre un pseudonyme. J'ai choisi Dany, et dans la mesure du possible il serait bon que mon nom réel n'apparaisse pas. Pour les lecteurs, je suis Dany. C'est le nom qu'on trouve au dos des albums. Par contre, je fais aussi de la peinture, et là je signe de mon véritable nom.

 Pourquoi avoir choisi de vous exprimer par la bande dessinée ? Est-ce un hasard ?

J'ai étudié le dessin pour faire de la publicité. J'aimais beaucoup la bande dessinée à l'époque mais je ne savais pas comment aborder ce métier. Je m'imaginais qu'il était réservé à une sorte d'élite, que ce milieu était très fermé. Puis à la fin de mes études, un dessinateur nommé Mittéi est venu voir les travaux des élèves. Il cherchait un assistant et comme il aimait mes dessins, il m'a proposé la place. J'ai accepté sans l'ombre d'une hésitation et j'ai aidé Mittéi pendant un an. Je travaillais sur Les Trois A. , sur Désiré. Je faisais une partie des décors et surtout les voitures, les avions etc. J'ai aussi travaillé sur certains décors de Ric Hochet. Puis le service militaire est venu interrompre cette collaboration ; je suis ensuite parti à Bruxelles et je suis entré au studio Greg. Pendant deux ans, j'ai travaillé sur les productions de Greg à savoir sur Quentin Gentil, les As, etc.… et en 1968 nous avons créé Olivier Rameau.

Comment se passait le travail au studio ? Il devait y avoir pas mal de monde ?

Non pas tellement. Greg cumulait à l'époque son travail de rédacteur en chef de Tintin et son travail de dessinateur : il n'était pas présent en permanence. Hermann venait lui aussi de façon épisodique puisqu'il travaillait en partie chez lui. La permanence du studio Greg était assurée par Dupa et moi. Nous travaillions essentiellement aux séries de Greg : les As et Talon. Nous avons commencé par le lettrage, les décors, les couleurs, puis petit à petit les personnages de Quentin et des As. Je dessinais les personnages. De Groot et Turk s'occupaient du lettrage et des décors.

Ce genre de collaboration est-il valable en tant que dessinateur débutant ?

Je crois qu'elle m'a apporté les rudiments du métier ; j'y ai surtout appris à être efficace. Par exemple les jeunes dessinateurs qui viennent chez moi de temps en temps, donnent l'impression d'avoir tout leur temps. Ils fignolent un arbre, le dessinent dans les moindres détails alors qu'il n'est pas du tout important. Au studio, cela aurait été impossible. Nous devions fournir une dizaine de planches par semaine, et de ce fait aller directement à l'essentiel, à la chose à mettre en évidence. Cette efficacité m'a évité de me disperser dans l'image. Par contre, nous n'avions pas le sentiment de créer. Comme les séries ne nous appartenaient pas, nous avions le sentiment de faire de l'alimentaire, en attendant d'avoir nos propres séries. Cela nous plaisait, bien sûr, mais nous ne donnions pas le meilleur de nous-mêmes. Ce studio nous permettait de vivre agréablement - nous gagnions pas mal d'argent - tout en conservant une certaine liberté.

Greg est-il un bon professeur ?

Greg n'est pas un pur graphiste, ce n'est un secret pour personne mais il a très vite mis au point un style extrêmement efficace qui ne demande pas une virtuosité excessive. Quand il dessine Talon étonné, Talon est vraiment étonné ! De plus c'est un très très grand raconteur d'histoire.

Est-ce qu'Olivier Rameau, Bernard Prince et autres séries ont été une distribution de "cadeaux" de la part de Greg ?

Non, pas du tout (…). En ce qui concerne Olivier Rameau, Greg est venu me trouver fin 68 en me racontant une histoire qu'il avait imaginée en se promenant dans les Ardennes belges. A une certaine époque, les villages ardennais étaient reliés par des tramways vicinaux. Très souvent les rails que suivaient ces tramways longeaient la route, mais quelquefois prenaient des raccourcis et se perdaient dans les taillis pour rejoindre la route un peu plus loin. Greg a vu ces rails désaffectés s'enfoncer dans les buissons et il a eu subitement l'impression que cette voie menait vers le rêve. Il a imaginé le monde d'Olivier Rameau. Il m'a donc raconté cette histoire un soir. Mon penchant pour la bande dessinée était plutôt du côté Gil Jourdan. Je ne sais si Greg a deviné qu'en moi, il y avait ce côté fleur bleue, rêve, que j'ai découvert, moi, par la suite ; toujours est-il que cela a fait tilt ! Quand je revois les premiers albums d'Olivier Rameau, il y a des choses qui me font souffrir graphiquement, et en même temps j'y trouve une sorte de fraîcheur avec laquelle j'aimerais renouer, une naïveté que j'ai perdue au fil du temps.

Les histoires ont, elles aussi, évoluées !

Il est possible qu'Olivier Rameau ait motivé très fort Greg durant les quatre premiers épisodes. Ensuite il y a eu un passage à vide où Greg s'est un peu répété. Lui-même m'a avoué que pour Olivier Rameau, il fallait considérer avoir tout dit. A mon avis il aurait dû dire : "Je considère avoir tout dit !" Pour moi, cette rupture arrivait bien, dans la mesure où après 7 histoires d'Olivier Rameau, j'avais envie de dessiner autrement. Je voulais dessiner de façon réaliste. Et cela se sentait dans la série d'Olivier Rameau. J'avais fini par dessiner Olivier Rameau comme un petit frère de Bernard Prince. Je pense essentiellement à l'épisode : "L'oiseau de par-ci, par-là" où le dessin est en net décalage avec l'histoire. Je n'aurais pas dû la dessiner comme cela.